En faisant l’expérience d’une compétition internationale, les jeunes joueurs découvrent de nouvelles cultures et se frottent à des équipes aux approches stratégiques différentes. Ils ont ainsi l’occasion de mettre à l’épreuve leurs qualités de prise de décision et d’exécution face aux meilleurs talents mondiaux de leur génération.
Accompagné de l’équipe Analyse des performances et tendances du football de la FIFA, notre Groupe d’étude technique se trouve au Chili pour la Coupe du Monde U-20 de la FIFA 2025™ afin d’observer la compétition. Dans cet article, Marcin Dorna, le directeur sportif de la Fédération Polonaise de Football, se penche sur la stratégie du Maroc pour construire le jeu sur les coups de pied de but face au pressing haut des Espagnols. Il aborde également les ajustements tactiques entrepris par les deux formations afin de s’adapter aux choix adverses, tout en soulignant leurs implications techniques sur la prise de décision et l’exécution des joueurs.
CONSTRUCTION DU MAROC SUR LES COUPS DE PIED DE BUT
Dans le système en 4-4-2 du Maroc, les deux défenseurs centraux restaient dans leur surface de réparation, quasiment sur la même ligne que le gardien, avec le central gauche à proximité du ballon. Le but recherché était de créer un avantage numérique à 3 contre 2 face aux deux attaquants espagnols au pressing.
Les deux latéraux étaient relativement bas et écartés, dans leurs 30 mètres. Les deux milieux centraux décrochaient très bas, pratiquement au niveau de la surface de réparation, pour jouer un rôle de pivot et apporter un surnombre afin de faire progresser le jeu dans l’axe. Quant aux deux milieux latéraux, ils se plaçaient haut et collaient leur ligne de touche respective, dans le but de fixer les défenseurs centraux espagnols au niveau de la ligne médiane. L’objectif était de donner un maximum de largeur pour ouvrir des espaces dans l’axe.
Fait intéressant, les deux avant-centres se positionnaient assez bas, ce qui renforçait la supériorité numérique marocaine au centre du terrain et générait de l’incertitude vis-à-vis des responsabilités défensives entre les trois lignes espagnoles.
PRESSING HAUT DE L’ESPAGNE SUR LES COUPS DE PIED DE BUT
L’Espagne a passé 7% de son temps sans ballon en pressing haut et gardait un joueur à 12,5 mètres ou moins du ballon sur chaque coup de pied de but. Elle a démarré en 4-3-3, en positionnant ses deux ailiers sur la ligne de la surface de réparation pour aller presser les défenseurs centraux et le gardien marocains. L’avant-centre restait aux abords de la surface de réparation, mais s’est retrouvé en infériorité numérique face aux deux pivots adverses. Les deux milieux offensifs étaient chargés d’occuper les demi-espaces, avec la responsabilité de contrôler les zones centrales et de presser le latéral marocain à proximité si celui-ci recevait le ballon.
Le milieu défensif espagnol devait occuper le centre du terrain, devant ses deux centraux, mais a lui aussi été dépassé par les deux avant-centres marocains qui décrochaient. Les latéraux se retrouvaient ainsi en 1 contre 1 sur les côtés, tandis que les deux défenseurs centraux devaient choisir entre rester en place au niveau de la ligne médiane pour protéger l’axe ou monter pour serrer les deux attaquants marocains.
Enfin, le gardien espagnol restait relativement bas, au niveau de la ligne de sa surface de réparation.
Dans la vidéo 1 ci-dessous, Marcin Dorna met en évidence les avantages de ces deux stratégies lorsque celles-ci se retrouvent confrontées.
« Dès que le central fait la passe au gardien, l’Espagne déclenche un pressing très intense. Néanmoins, cela ne dissuade pas le gardien de jouer avec son milieu, même si celui-ci fait face à une forte pression. Ce qui est important à noter, c’est qu’il lui donne le ballon sur son bon pied, ce qui lui permet de réagir rapidement en jouant en une touche sur le central droit. Comme le latéral droit marocain offre alors une bonne solution de passe, le milieu gauche espagnol décide de le serrer, ce qui libère un espace dans l’axe pour le deuxième pivot marocain, complètement seul. Ce dernier illustre bien les intentions offensives de son équipe, puisqu’il adresse rapidement une passe dans le dos de la défense espagnole alors qu’il avait également la possibilité de changer de côté.
Il s’agit d’une phase de jeu bien exécutée grâce à des joueurs qui connaissent parfaitement leur rôle, tant dans la création d’espace que dans la progression du jeu vers l’avant. Chaque joueur a une fonction précise, qu’il remplit avec détermination. »
Première intervention de l’entraîneur
Le premier ajustement de l’Espagne a été opéré afin de remédier au surnombre marocain dans les zones centrales apporté par leurs deux pivots. Pour ce faire, l’entraîneur a demandé au milieu défensif de monter sur le deuxième pivot, passant ainsi à un marquage individuel dans les 30 mètres du Maroc. Cette décision a eu pour contrepartie de totalement abandonner l’espace créé derrière le milieu central aux deux avant-centres marocains.
Comme l’explique Marcin Dorna, à la suite de cet ajustement, la zone à exploiter pour le Maroc et la zone à risque pour l’Espagne a été déplacée (voir la vidéo 2 ci-dessous).
« Après l’ajustement tactique de l’Espagne dans son pressing haut, les joueurs marocains ont immédiatement fait preuve d’une grande intelligence de jeu. Ils ont tout de suite trouvé le nouvel espace à partir duquel ils pouvaient construire. Ils ont conservé exactement la même structure, mais le gardien a vu que l’avantage numérique se trouvait désormais plus haut, au niveau de l’espace occupé par ses deux avant-centres.
Juste avant que le coup de pied de but soit effectué, on peut voir le central gauche espagnol monter pour se rapprocher de l’un des deux attaquants marocains. Dans le même temps, le central droit avance également, mais ne sort pas jusqu’à hauteur du deuxième attaquant. Dans cette situation, il doit choisir entre rester en place pour défendre l’espace dans l’axe et monter complètement sur l’attaquant. Bien qu’il s’avance légèrement, son placement et son attitude montrent clairement qu’il décide de défendre l’espace en priorité, en espérant que son milieu droit viendra couvrir l’axe si le ballon parvient dans cette zone.
« Dès que le défenseur central gauche marocain joue avec son gardien, l’Espagne déclenche son pressing haut. Le gardien joue alors directement sur son avant-centre, cassant ainsi deux lignes adverses. L’attaquant contrôle en se retournant, ce qui lui permet de donner vers l’avant au milieu gauche, qui était volontairement resté haut et très écarté. L’action est finalement interrompue par une faute commise par un Espagnol.
Même en conservant la même structure pour construire le jeu, les joueurs marocains ont démontré une véritable intelligence tactique en trouvant immédiatement comment répondre à l’ajustement opéré par l’Espagne. »
Deuxième intervention de l’entraîneur
Pour contrer la menace provenant des deux avant-centres adverses laissés libres dans l’axe, l’Espagne a effectué un nouvel ajustement. Cette fois-ci, l’entraîneur a demandé à ses deux centraux de serrer les attaquants marocains, quitte à laisser l’espace central dans le dos des deux latéraux – qui sont également en 1 contre 1 – entièrement libre. Cela a également induit un changement dans le positionnement du gardien, qui a quitté la ligne de sa surface pour s’avancer davantage en direction du rond central.
Pour Marcin Dorna, ce choix fort de Paco Gallardo, le sélectionneur espagnol, démontre la confiance qu’il accorde à ses joueurs, ainsi que sa volonté de les exposer à des scénarios compliqués qu’ils rencontreront chez les seniors, en fonction du niveau de pression exercé sur le porteur du ballon.
« Cette approche dénote l’intention du sélectionneur de travailler les qualités de ses joueurs dans les 1 contre 1. C’est un élément important dans le développement des jeunes. En senior, ils devront être capables de savoir quand couvrir l’espace et quand serrer le joueur, ainsi que de reconnaître les moments où la priorité défensive s’inverse. Il n’est pas rare que les défenseurs centraux se retrouvent en 1 contre 1 au centre du terrain tout en étant dans l’alignement défensif, ni qu’un central doive suivre un avant-centre qui décroche au milieu du terrain. En revanche, on ne voit pas souvent un entraîneur laisser un tel espace au milieu entièrement libre. En plaçant ses joueurs dans cette situation, il les pousse à faire parler leur technique individuelle. C’est à eux d’adopter les bonnes postures et d’exploiter leur sens du timing et leurs qualités de prise de décision pour déterminer quand défendre l’espace et quand défendre le joueur. C’est un bel exemple d’approche centrée sur le développement des joueurs. »
La vidéo 3 ci-dessous illustre toute l’importance de la capacité de prise de décision, et ce pour les deux équipes. Au moment où le gardien marocain voit que les deux centraux adverses sont en marquage individuel, il cherche immédiatement à jouer long pour exploiter l’espace dans le dos de la défense.
Marcin Dorna poursuit : « Compte tenu de la volonté et de la capacité du Maroc de ressortir grâce à du jeu court ou à mi-distance, même sous pression, il était trop dangereux de laisser des joueurs libres dans leur propre camp. C’est ce qui explique que les deux centraux espagnols soient montés. Néanmoins, quand ils ont lu l’intention du gardien de jouer long – qui se devinait au fait qu’il avait le temps et l’espace pour le faire – les deux joueurs ont anticipé sa relance et ont réagi en abandonnant les deux avant-centres dans l’axe pour couvrir l’espace en priorité. Ils ont également été soutenus par leur latéral gauche qui s’est replacé au centre pour défendre l’espace. »
Éléments de développement
Les différents scénarios présentés illustrent l’intelligence des joueurs des deux équipes. Le Maroc avait ciblé en particulier les relances sur coup de pied de but, et les joueurs ont montré une bonne compréhension des opportunités offensives créées par les différentes stratégies de marquage adverses.
L’Espagne a eu les ressources pour s’adapter à la fois tactiquement et techniquement aux menaces du jeu marocain et y répondre en évaluant le degré de risque acceptable en fonction des différentes stratégies offensives adverses. Elle a considéré qu’il pouvait être préférable de laisser les joueurs en 1 contre 1 afin de pouvoir exercer une pression plus forte sur le porteur.
Pour conclure, Marcin Dorna affirme que « les joueurs des deux formations ont montré qu’ils étaient capables d’anticiper les situations et de réagir en conséquence grâce à leur polyvalence tactique et technique. Ces qualités d’adaptation sont primordiales pour les jeunes joueurs et doivent constamment être travaillées. C’est ce qui fait toute l’importance de ce genre de compétitions, qui les exposent à une multitude de scénarios. »